15 ans au Québec : suis-je plus tunisienne ou plus québécoise?

J’ai fêté mes 15 ans au Québec en décembre 2019.

J’ai débarqué à Montréal en pleine tempête de neige, un certain 26 décembre 2004. J’avais 20 ans.
Je débarquais dans un pays que je ne connaissais pas, que je n’avais jamais visité auparavant et avec lequel le seul lien concret que j’avais était la langue, du moins c’est ce que je pensais.

 

Début de l’aventure québécoise

Mes premiers mois à l’université m’ont permis de découvrir un nouveau vocabulaire et même une manière différente d’employer certains mots. Donc même au niveau de la langue, il fallait une période d’adaptation.
D’ailleurs, à ce jour, je continue d’apprendre des expressions et des mots et je ne m’en plains pas.

Par la suite, ce n’est pas juste l’usage des mots et expressions auquel j’ai dû m’adapter, mais plusieurs autres aspects de ma nouvelle vie.
J’avais toujours vécu chez mes parents. Je n’avais jamais eu à gérer un budget, payer des factures, préparer mes repas, penser à des détails comme comment cohabiter avec d’autres humains autres que ma famille. J’aurais pu vous dire que je ne savais pas trier le linge pour faire mon lavage, mais ça, ma mère me l’avait appris (rires).

Je savais faire un peu à près tout : cuisiner, le rangement le ménage. Mais, devoir le faire, dans un pays nouveau, dont tu ne connais pas les coutumes et où tu ne connais presque personne était tout un défi pour moi. Défi que j’avais sous-estimé, je crois.

 

La belle jeunesse

J’étais jeune, je partais à l’aventure, je trouvais ça exhilarant et l’inconnu m’excitait.
On me posait et on me pose encore la question : pourquoi le Canada ? Je répondais : je voulais voir ailleurs si j’y suis. L’Europe ? Nah, trop facile, trop proche, trop dans ma zone de confort.
J’aimais déjà faire des choix qui sortaient des sentiers battus.

Au fil des années, au fil des amitiés et des rencontres amoureuses, des épreuves, des victoires, des larmes et des sourires, des discussions et des questionnements, beaucoup d’idées et de conceptions ont évolué, et ont pris le temps de murir dans ma tête.

L’une de ses idées sur lesquelles je me suis penchée est celle de l’identité, comment son sens a évolué avec mon expérience personnelle.
Cette idée est aussi indissociable avec la place que j’occupe dans la société, une société pluraliste, une société bâtie sur l’immigration.

Mon identité au fil de mon vécu

 Je dois l’avouer, dans le passé, ayant vécu exclusivement en Tunisie, je ne me suis jamais posé de questions concernant mon identité. C’était clair : j’étais tunisienne, de parents tunisiens, je parlais un arabe avec un dialecte tunisien. Le français appris dès l’âge de 8 ans au primaire s’intégrait dans mes discussions et j’avais appris l’anglais et l’espagnol à l’école secondaire.
Donc pour moi, à l’époque et même quelques années après mon arrivée au Québec, c’était très clair : je suis tunisienne, je viens étudier au Québec et par la même occasion découvrir une autre culture.

Certes, dans l’Histoire de la Tunisie, les civilisations se sont succédé et ont laissé quelques traces dans notre patrimoine culturel, mais sûrement dans celui génétique aussi. Je crois qu’avec l’âge, j’ai appris à mieux apprécier ces différentes influences.
Mais avec les années, je me suis attachée au Québec. J’ai appris à le connaître, à l’apprivoiser et à l’apprécier.

L’attachement au Québec

J’aime beaucoup le Québec. C’est peut-être naïf, mais j’aime la ferveur patriotique avec laquelle les Québécois clament la différence québécoise. Cette passion qui les anime, je l’aime tant qu’elle ne me considère pas, moi immigrante, comme menace. Mais ça, c’est un autre sujet.
J’aime cet attachement à protéger la langue, sans que ça vire au ridicule bien sûr (ceux qui se rappellent du débat de franciser ou non les noms des enseignes telles Canadian Tire sauront de quoi je parle). J’aime ce français différent, ancien, très imagé parfois.

Mais vous savez ce que j’aime par-dessus tout ?

Le sentiment de liberté. La liberté d’être qui on veut, la possibilité d’être qui on veut et l’espace pour l’être. Le sentiment que nous sommes différents, mais qu’au final ce sont ces différences qui font la beauté de la société où nous vivons.
Le sentiment qu’au final, peu importe tes origines, on est tous pas mal pris avec des hivers de 5 à 6 mois, des routes à l’état lamentable, des constructions à ne plus en finir… Croyez-moi se plaindre des mêmes sujets rapproche les gens. 

Car c’est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances, et c’est notre regard aussi qui peut les libérer. 
– Amine Maalouf

J’aime aussi l’opportunité qui nous est donnée de faire ses preuves en tant qu’individu et non pas en tant que personne appartenant à telle famille, venant de telle ville, venant de tel milieu, ou ayant les autres étiquettes qu’on aime se coller les uns sur les autres en tant qu’humains.
Je ne dis pas que je maîtrise encore le sujet. Ma personnalité a eu pas mal de temps pour se forger en Tunisie, y ayant vécu jusqu’à l’âge de 20 ans. Je viens donc avec mon lot d’idées préconçues et de jugements, mais je m’améliore, de jour en jour. Je deviens plus ouverte, plus tolérante.
Je n’ai pas le choix de l’être.
Je suis moi-même « différente » ici. Mais, c’est en voyant la curiosité, la bienveillance et le laisser-vivre à Montréal que je me suis moi-même transformée. C’est en côtoyant des personnes de tous bords, de toutes origines, que j’ai moi-même changé et j’en suis très heureuse d’ailleurs.

Pourquoi suis-je restée au Québec malgré les hivers et la distance ?

On me pose souvent la question : pourquoi es-tu restée ? Je réponds toujours : je me sens bien ici.
Pourquoi j’irais ailleurs ?
La question ne se pose plus pour moi de retourner vivre en Tunisie. Après 15 ans au Québec, ma vie est ici. 

Mon accent se teinte au fil du temps et au fil des rencontres. Je pense à la montréalaise, je rêve à la montréalaise. Je vis à la montréalaise et à la québécoise. À part peut-être, les tout inclus dans le sud et le pâté chinois (rires).

L’identité, cette notion très personnelle et très fluide

Et avec le temps, la question de l’identité s’est posée.
J’ai, donc, demandé un peu partout autour de moi : « qu’est-ce que l’identité pour vous ? ».

J’ai constaté que les personnes qui ont vécu dans un seul pays ont une réponse très différente de celles qui vivent dans une société multiculturelle comme le Québec ou le Canada.
Pour les premières, ça représente les origines donc les origines des parents ou les siennes, peu importe où tu es né et où tu as vécu.

Pour les secondes personnes, dont moi, c’est un mélange des cultures d’où tu es originaire, celles que tu as côtoyées et celles où tu t’es établie. C’est le pays ou la culture avec laquelle tu t’identifies le plus, celle qui correspond à tes idéaux.

Ton pays serait celui que tu appellerais home. Tu peux bien évidemment avoir plus qu’un home.
Ce n’est pas ton passeport, ni celui que tu as hérité ou celui que tu as reçu.
Mais bien plus. C’est un sentiment d’appartenance.

Le plus surprenant dans tout ça, c’est que ma propre notion d’identité s’est transformée et a évolué au fil du temps et s’est colorée par mon propre vécu.

Au final, la notion d’identité est propre à chacun, car elle s’attache au vécu de chacun, à son sentiment d’appartenance. Elle est très subjective. 

Suis-je plus tunisienne ou plus québécoise ?

Honnêtement, je ne saurai répondre en tranchant.

Mais voici ma réponse : la Tunisie c’est la nostalgie, c’est la cuisine de ma mère, c’est les souvenirs d’enfance, c’est les premiers apprentissages, c’est les étés à cueillir le jasmin, c’est l’odeur du pain chaud qui sort du four du boulanger, c’est l’école buissonnière, c’est les premières réprimandes des parents, c’est les premières amourettes.  

Le Québec, c’est la responsabilité, c’est devenir adulte avec ce que ça apporte comme moments de solitude. C’est aussi se découvrir et mieux se connaître. C’est des moments de remise en question, c’est être loin de ses repères et de sa famille, mais aussi se construire une seconde famille faite de personnes extraordinaires, c’est aussi les opportunités, c’est aussi les choix un peu plus difficiles, le bonheur d’être soi, de grandir, de s’épanouir, de pouvoir rêver.

La Tunisie, c’est le cœur. Le Québec et le Canada, c’est le cerveau.
La Tunisie c’est la figure maternelle, le Québec c’est le partenaire de vie.

Alors, à la question es-tu plus tunisienne ou plus québécoise ? Je répondrai ceci : ça dépend des jours.

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