Vendredi soir j’étais Paris, mais jeudi j’étais Beyrouth et j’étais le jeune berger tunisien décapité dans les montagnes. Quelques mois auparavant j’étais aussi Ankara, j’étais Garissa, mais aussi et bien sûr j’ai été Sousse et le Bardo de part le sang qui coule dans mes veines.
Je suis née dans un pays et depuis une décennie, j’ai pris résidence dans un autre pays.
Je suis donc citoyenne du monde, je ne peux nier mes racines, ma culture, ma langue maternelle, comme je ne peux nier mes nouvelles influences, tous les changements que ça a impliqué quant à mon évolution et à la construction de l’adulte que je suis aujourd’hui.
On dit qu’on ne peut choisir sa famille mais on peut choisir ses amis, il en va de même pour son pays de naissance et son pays d’adoption. Je crois qu’on a un amour viscéral pour son pays de naissance et un amour plus rationnel pour son pays d’adoption.
Et dans cette grande métropole qu’est Montréal, j’ai toujours été agréablement surprise de rencontrer des personnes venants d’horizons très diversifiés. La richesse de cette ville, de ce pays en fait la beauté.
Et je ne veux pas que ça change ici et je ne veux pas que ça change dans d’autres pays. Peu importe d’où nous venons, peu importe où nous choisissons d’élire résidence, nous restons humains.
Et ce soir, après ces derniers jours sanglants, et peu importe où l’endroit où l’horreur se manifeste, peu importe le nombre de victimes, je suis touchée dans mon humanité. Je suis bouleversée par la douleur que peuvent éprouver les proches, la terreur des rescapés. Je ne peux imaginer ce que c’est de vivre ça. L’atrocité des actes me sidère.
Néanmoins je constate une indignation face à la disproportionnalité des réactions alors que Beyrouth a été touchée un jour auparavant.
Je crois que cela reste valable quant aux gouvernements, les journalistes et les médias.
Par contre, en tant que citoyenne, je conçois parfaitement qu’on se sente plus touché et ébranlé dépendamment des pays touchés. Ça peut être culturel, ça peut être parce qu’on a de la famille et des amis qui y habitent, ça peut être par rapport à un vécu.
Alors j’estime que l’on a pas à se justifier, ça reste très personnel. Je n’ai pas à me justifier pourquoi Paris me bouleverse plus que Beyrouth. Je ne suis ni française, ni libanaise. Et pourtant il en est ainsi. Et personne n’a à se justifier.
Alors oui je suis Paris, je suis Beyrouth et je suis tous ces gens touchés car je suis avant tout HUMAINE.
Ce qui serait regrettable, c’est la banalisation de ce genre d’actes. Et au delà de ça, c’est les réactions engendrées.
Je n’ai pas l’accent des gens d’ici, je n’ai pas l’Histoire des gens d’ici, je n’ai pas la culture des gens d’ici, mais je suis bien ici, je suis même très bien. Et je ne suis pas la seule.
Et je n’aimerais pas que ça change. Ni ici, ni ailleurs.
Pour moi, pour tous mes semblables, pour toute l’humanité.
Avant d’être une race, une religion, une culture, une langue, je suis un être humain.
Et nous sommes ici tous pour un moment, non pas une éternité. Efforçons nous de partager notre présence sur cette terre paisiblement, avec notre voisin, notre collègue, le passant, le boulanger, le taxi…
Aujourd’hui nous ne sommes plus à l’abri, où que nous soyons. L’horreur est à nos portes, elle nous guette.
Ne cédons pas à la peur. Ne laissons pas la peur nous aveugler ni nous isoler et diviser. C’est ce qu’ils veulent exactement, ça serait leur victoire. Soyons plus intelligents, soyons plus humains.
Empathie, compassion et tolérance ne doivent pas nous quitter.
C’est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances, et c’est notre regard aussi qui peut les libérer. Amin Maalouf